Dans Génération Anxieuse, Jonathan Haidt explore les causes profondes de l'augmentation spectaculaire des troubles anxieux, dépressifs et suicidaires chez les jeunes, en particulier ceux nés après 1995 (la « Génération Z »). Il avance que cette crise de santé mentale est le résultat d’un basculement inédit dans leur mode de vie: l’omniprésence des écrans, l’émergence des réseaux sociaux et la surprotection parentale ont conduit à une génération plus anxieuse, plus fragile et moins résiliente.
Selon lui, le passage d’une enfance fondée sur l’exploration physique et sociale à une enfance hyperconnectée et ultra-sécurisée a profondément modifié le développement psychologique des jeunes. Il décrit comment les smartphones et les réseaux sociaux ont modifié leur rapport au monde, leur confiance en eux et leur bien-être mental.

1. Une montée alarmante des troubles mentaux
Les données des dernières décennies montrent une explosion des troubles psychologiques chez les adolescents, avec des tendances particulièrement inquiétantes :
Une hausse marquée de l’anxiété et de la dépression, surtout chez les filles.
Une augmentation des comportements suicidaires et des tentatives de suicide.
Une plus grande fragilité émotionnelle, avec une intolérance croissante aux critiques et aux désaccords.
Selon Haidt, ces évolutions sont trop brutales et généralisées pour être expliquées par des facteurs individuels ou génétiques.Il réfute aussi l’idée qu’elles seraient simplement dues à une meilleure détection des troubles mentaux. Selon lui, la brutalité du changement indique plutôt une transformation environnementale majeure, liée à l’introduction massive des smartphones et des réseaux sociaux au début des années 2010.
2. Le tournant de la génération smartphone (2010-2012)
Haidt identifie la période 2010-2012 comme un moment clé où la santé mentale des adolescents a commencé à se détériorer rapidement. Cette période correspond à :
La généralisation des smartphones chez les jeunes.
L’essor des réseaux sociaux visuels comme Instagram, Snapchat et TikTok.
Une baisse marquée des interactions en personne et des activités de plein air.
Ce passage à une vie hyperconnectée a profondément bouleversé la construction de l’identité, les compétences sociales et la résilience des jeunes face aux difficultés.
3. L’impact des réseaux sociaux et du numérique
L’usage massif des écrans a modifié la manière dont les adolescents interagissent avec le monde :
Comparaison sociale accrue: L’exposition permanente à des vies idéalisées sur les réseaux accentue l’insatisfaction et l’anxiété.
Harcèlement en ligne omniprésent: Le cyberharcèlement est plus envahissant que le harcèlement classique, car il est permanent et ne s’arrête pas à la maison.
Altération du développement identitaire: La quête de validation en ligne freine la capacité à construire une identité authentique et solide.
Dépendance et perte de concentration: Les algorithmes des réseaux sociaux captent l’attention et rendent plus difficile la concentration sur des tâches plus profondes et enrichissantes.
Les effets différèrent selon le genre :
Les filles souffrent davantage des pressions liées à l’image corporelle et aux relations toxiques en ligne.
Les garçons souffrent davantage d’isolement, passant plus de temps sur les jeux vidéo et la pornographie, ce qui réduit leurs compétences sociales.
4. Isolement social et baisse des compétences sociales
Un des aspects les plus préoccupants de cette transformation est l’effondrement des interactions sociales réelles. Les adolescents sortent moins, passent moins de temps en face à face et évitent les confrontations. Tout cela affaiblit des compétences sociales essentielles:
Moins d’aisance dans les relations interpersonnelles
Baisse des capacités à gérer les conflits
Moins de résilience face aux défis de la vie
Haidt compare cette tendance à une décroissance du "muscle social", où les jeunes deviennent plus maladroits, plus craintifs et moins aptes à naviguer dans le monde réel.
5. La surprotection parentale : un autre facteur clé
Loin d’être uniquement liée aux écrans, cette fragilisation des jeunes s’explique aussi par une évolution des pratiques éducatives qui les rend plus vulnérables. Depuis les années 1990-2000, la parentalité a basculé vers une approche ultra sécuritaire:
Moins d’autonomie laissée aux enfants (moins de jeux libres, moins d’exploration sans surveillance).
Une culture de la sécurité extrême qui enseigne aux jeunes à éviter les risques plutôt qu’à les affronter.
Une plus grande dépendance aux adultes, qui freine le développement de compétences clés comme la résolution de problèmes et la gestion de l’échec.
Haidt distingue deux modes psychologiques:
Le mode défensif est un état psychologique où une personne se sent menacée, évite les risques et cherche à minimiser la douleur ou l’inconfort. Ce mode est amplifié par la surprotection parentale et la peur du conflit.
Le mode découverte, à l’inverse, est celui où l’on explore, apprend et expérimente. Il favorise la curiosité, la prise de risques mesurée et la croissance personnelle.
Selon lui, la Génération Z est trop souvent enfermée dans le mode défensif, entre réseaux sociaux anxiogènes et éducation surprotectrice. Résultat : les jeunes sont plus craintifs, anxieux et passifs face au monde, au lieu d’être explorateurs et confiants.
6. Les solutions proposées par Haidt
Face à ce constat alarmant, Haidt propose plusieurs pistes pour restaurer l’équilibre et améliorer la santé mentale des jeunes :
Retarder l’accès aux smartphones et aux réseaux sociaux
Donner aux enfants des téléphones simples au lieu de smartphones.
Interdire les réseaux sociaux avant 16 ans.
Limiter strictement le temps d’écran pour préserver le développement cognitif et émotionnel des enfants.
Réintroduire les jeux libres et l’autonomie
Encourager les enfants à jouer dehors et à explorer le monde sans supervision excessive.
Favoriser les activités où les enfants doivent résoudre des problèmes par eux-mêmes.
Favoriser les défis et les risques mesurés pour renforcer la résilience.
Réduire les interventions excessives des adultes dans les conflits entre enfants pour les aider à développer leur propre capacité de régulation émotionnelle.
Revaloriser les interactions en personne et le contact avec la nature
Limiter le temps d’écran pour laisser plus de place aux échanges réels.
Promouvoir les activités en plein air.
Créer des espaces de socialisation qui encouragent l’interaction sans intermédiaire numérique.
Réformer l’éducation et les politiques publiques
Adapter les écoles pour qu’elles réduisent l’utilisation des écrans et valorisent davantage les interactions en personne.
Sensibiliser les parents et enseignants aux effets négatifs des réseaux sociaux.
Mettre en place des régulations plus strictes sur les plateformes numériques afin de mieux protéger les jeunes.
Haidt insiste sur un élément clé souvent négligé: l'émerveillement par la nature. Passer du temps dehors favorise l’attention, le calme et la réduction du stress. L’exploration de la nature stimule la curiosité, l’indépendance et la confiance. L’expérience du beau et du sublime dans la nature permet aux jeunes de se reconnecter à quelque chose de plus grand qu’eux-mêmes, réduisant le sentiment d’isolement et d’anxiété. Il plaide donc pour une reconnexion aux expériences réelles: observer un paysage, explorer un sentier, contempler le ciel étoilé... Autant d’éléments clés qui permettent de retrouver un équilibre mental et émotionnel.
Conclusion
Génération Anxieuse est une analyse puissante du déclin du bien-être mental des jeunes. Haidt montre que l’hyperconnexion numérique et la surprotection éducative ont fait basculer les adolescents vers un mode défensif, limitant leur résilience et leur développement. Pour inverser la tendance, il plaide pour un retour à l’autonomie, aux interactions réelles et à l’émerveillement par la nature.
Le message central : si nous voulons aider la prochaine génération à s’épanouir, nous devons l’encourager à explorer le monde réel, à se confronter aux défis et à redécouvrir la beauté du monde naturel.
Haidt, J. (2025). Génération anxieuse : Comment les réseaux sociaux menacent la santé mentale des jeunes (J. Bussek, Trad.). Les Arènes.
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